Dans son livre „Nüchtern“, (en français « Le Dernier Verre: De l’alcool et du bonheur » publié aux éditions Autrement) Daniel Schreiber raconte qu’une amie lui a dit un jour qu’après cinq ans d’abstinence, on découvre qui on est vraiment et qu’après cinq autres années, on est capable de l’assumer. Depuis juillet, cela fait neuf ans que je suis sobre. De mon point de vue, je peux dire que la première partie du pronostic s’est confirmée. Je sais maintenant qui je suis ou en d’autres termes, je sais mieux qui je suis. Bizarrement, cela me fait penser à quelque chose que la podcasteuse Kristin Graf a dit un jour dans l’un des épisodes sur la naissance pacifique : les enfants, contrairement à nous les adultes, sont totalement connectés à leurs instincts. C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles je trouve les enfants si passionnants.
Quand tu es enfant, ton esprit n’a pas encore pris le dessus. Je suis presque sûr à 100 % qu’enfant, je savais beaucoup mieux qui j’étais vraiment.
Il semble qu’au fil des années de vie, nous perdions tous ce lien avec notre instinct. Je ne sais pas exactement pourquoi il en est ainsi. Peut-être que cela commence par le fait que nous allons un jour à l’école et que nous devons y fournir une certaine performance scolaire. Nous apprenons ainsi à nous intégrer ou à nous adapter à cette société. Dans mon cas, après l’école, j’ai dû apprendre un métier qui ne m’intéressait pas du tout. Je suppose que c’est au cours de ces années de formation que j’ai eu une sorte de première humeur dépressive. Vers la fin de ma formation, j’ai réussi à convaincre mes parents qu’il était judicieux pour moi de poursuivre mes études. Mais là encore, la devise était : „Mon enfant, tu dois absolument faire quelque chose qui s’appuie sur ta formation professionnelle. Sinon, comment le présenter sur le CV ?“. Donc, même pour le choix de la filière, je me suis à nouveau laissé influencer par l’extérieur. Cet état d’être dirigé par un tiers s’est prolongé pendant toute mon adolescence. Je veux dire par là, la période d’être jeune adulte, c’est-à-dire ma vingtaine. Le pire, c’est que je n’avais même pas encore réalisé que j’étais sous influence. Moi qui venais d’une famille archi-catholique, je me suis littéralement cassé les dents à l’université. J’ai bu, j’ai pris une cuite et le lendemain matin, je me suis assise sagement en cours, comme s’il n’y avait pas de mal à étudier avec un reste d’alcool dans le sang.
Je pense, qu’il est en effet normal pendant les études, de se défouler un peu et de faire la fête. Surtout si l’on a déjà goûté un peu au monde du travail par le biais de la formation, on apprécie tout à fait les libertés qu’offrent les études. Je ne regrette pas d’avoir été aussi sauvage à l’époque. Mais à un moment donné, les études ont pris fin et j’ai commencé à travailler. C’était dur. Les fêtes et les soirées ont donc diminué. On avait aussi plus de responsabilités. Mais ce que je ne pouvais plus réduire, c’était la quantité d’alcool que je pouvais désormais supporter. J’avais toujours du vin rouge à la maison. Je justifiais cela en disant que j’en avais encore besoin pour la bonne sauce bolognaise ou pour le délicieux gâteau au vin rouge. Je finissais généralement le reste de la bouteille toute seule. Je buvais aussi souvent pour faire le ménage, car je n’avais jamais envie de le faire. En effet je devais boire pour me faire plaisir et j’abusais ainsi rigoureusement des effets de l’alcool. Tout ce comportement s’est peu à peu intensifié jusqu’à ma conduite en état d’ébriété, à l’âge de 30 ans.
Depuis, je sais que je ne peux pas contrôler ma consommation d’alcool et je n’en ai plus bu une goutte. J’ai lu quelque part qu’environ 20 pour cent des personnes qui consomment régulièrement de l’alcool finissent par ne plus pouvoir boire de manière contrôlée, c’est-à-dire une minorité. Quand il s’agit de minorités, j’ai toujours l’impression de lever la main. J’observe que de nombreuses personnes qui buvaient trop auparavant, arrêtent de boire autour de leur 30e anniversaire. Je trouve cela passionnant. Il semble qu’à 30 ans, il se passe quelque chose chez beaucoup d’entre nous. Dans mon cas, c’est que je ne pouvais sans doute pas m’éloigner davantage de moi-même et de mon instinct sans me casser complètement la figure. Rétrospectivement, il semble qu’à ce moment la, un revirement s’est produit chez moi. Pour ainsi dire, un voyage vers moi-même, vers la Sonja qu’elle était à l’origine.
Environ un an après le début de ma sobriété, mon mari actuel a émis le soupçon que j’étais ultrasensible. Les personnes hypersensibles se caractérisent par le fait qu’elles ne possèdent pas de filtre à stimuli et qu’elles absorbent donc énormément de choses, ce qui les épuise à la fin de la journée. Par exemple, j’échoue aux tests de performance et de réaction sur ordinateur parce que je suis trop lente. Mon cerveau met plus de temps à traiter les informations parce qu’il réagit à tout. C’est le côté désagréable de l’hypersensibilité. L’autre côté, c’est que je peux, par exemple, puiser beaucoup d’énergie dans la nature. J’aime les randonnées, la mer, être dehors, faire du camping et du vélo. Quand je fais de la musique, je peux aussi me ressourcer très facilement. Ce sont les petites choses subtiles du quotidien qui font le bonheur des personnes hypersensibles et dont elles peuvent profiter longtemps. Selon des études, 15 à 20 % des personnes sont hypersensibles, soit environ une personne sur cinq. Et voilà qu’on en revient à la minorité dont je fais partie.
Donc j’imagine qu’il y a un lien entre les deux. Dans le sens qu’une personne très sensible boit trop parce qu’elle ne peut pas se déconnecter autrement.
Je connais beaucoup d’ex-buveurs qui sont très gentils, ce qui laisse supposer qu’ils sont des êtres sensibles. Et pourtant, je ne pense pas que chaque HSP (= personne hypersensible) soit ou puisse devenir un buveur. Chez moi, l’hypersensibilité s’exprime par mon odorat : je sens tout et tout le monde. Je peux en partie sentir sur la peau de quelqu’un ce qu’il a mangé. Mon mari me dit toujours en plaisantant, qu’avec ce nez, je pourrais travailler comme chien renifleur à l’aéroport de Francfort. De plus, je n’arrive pas à me concentrer dans les bureaux en open space. Lorsque mes collègues se moquent de moi, ce que font généralement les femmes, je les écoute, que je le veuille ou non. Je ne peux tout simplement pas faire abstraction de cela. Pour moi, c’est pesant, car premièrement, je n’avance pas dans mon travail et deuxièmement, j’absorbe complètement cette atmosphère négative de travail , si bien qu’à la fin de la journée, je suis tout simplement épuisée. Pour continuer ma vie sobre, il était indispensable de me confronter à ma propre hypersensibilité afin de pouvoir mieux me saisir moi-même. Au fil des ans, je me suis perdue à cause de ma consommation régulière d’alcool.
À quoi ressemble ma vie aujourd’hui ?
Les spécialistes des sciences sociales qualifieraient sans doute l’état dans lequel je me trouve aujourd’hui d’heure de pointe de ma vie. Je me trouve quelque part entre une start-up verte, une réorientation professionnelle, un enfant de maternelle au caractère bien trempé et un petit enfant qui serait au sommet de sa phase de défi. D’autres jeunes familles s’endettent à ce stade de leur vie, par exemple pour acquérir un bien immobilier. Il se passe beaucoup de choses pendant cette période. On évolue en permanence.
En octobre 2019, j’ai vu Nathalie Stüben à l’émission 3nach9. Elle est journaliste allemande et a elle-même arrêté de boire il y a sept ans. À ce moment-là, je n’avais pas conscience de tout ce que cette apparition télévisée allait déclencher dans ma vie. Je l’ai contactée et je lui ai parlé de mon passé d’alcoolique. Je n’avais plus fait cela depuis que j’avais récupéré mon permis de conduire. J’avais simplement balayé tout ce sujet honteux sous le tapis. Aujourd’hui, je suis tellement heureuse et reconnaissante d’avoir pu enregistrer un épisode de podcast avec Nathalie, qui est sorti en mars 2020. Le podcast de Nathalie était alors le premier podcast allemand consacré à l’alcoolisme. Nathalie m’a rappelé de m’occuper de mes propres chantiers personnels, que j’ai négligés pendant des années. J’ai certes réussi à rester sobre, mais j’ai tout de même continué à accepter des emplois qui en fait ne correspondaient ni à moi ni à ma personnalité. Nathalie a interviewé Vlada Mättig* dans l’édition de novembre 2019 de son podcast. En écoutant Vlada décrire sa biographie, j’ai pu établir quelques parallèles avec mon parcours. Par exemple, le fait d’avoir choisi de faire mes études dans des filières où je serai sûre d’avoir un travail après et que les emplois que j’ai acceptés ensuite étaient avec une sécurité de l’emploi, mais ne me rendaient pas heureuse. J’ai donc également pris contact avec Vlada. Elle m’a recommandé le podcast de Laura Malina Seiler*. Je l’ai trouvé très utile. Une grande partie de ce que Laura raconte a du sens pour moi : elle aide ses auditeurs à écouter leur voix intérieure et à découvrir ce pour quoi ils se lèvent le matin. Cela permet de se retrouver soi-même, c’est-à-dire de retrouver les valeurs que l’on avait déjà en nous quand on était petit et que l’on a perdues au fil des années. On apprend ainsi à accepter que l’on est bien comme on est. On apprend à s’évader pour soi-même et que ce n’est pas bien de se plier à tout. Le fait de devoir se plier et de devoir plaire à tout le monde m’a presque tuée à 30 ans. Je ne le ferai plus, pour aucun employeur au monde.
Cette liberté nouvellement acquise, que je m’octroie désormais, me fait vraiment du bien. Pour moi, cela a quelque chose de salutaire.
Mais cela implique aussi, par exemple, d’acheter des écouteurs antibruit si l’on sait pertinemment que l’on ne peut pas se concentrer dans un bureau open space. Bien sûr, ils sont plus chers, mais il faut aussi savoir s’accepter tel que l’on est. C’est ainsi que je me facilite la vie et je me sens digne de faire cela. D’ailleurs,à titre personnel je n’ai été récompensée de tous mes efforts que depuis la diffusion du podcast avec Nathalie en mars 2020. Depuis je reçois beaucoup de retours positifs pour ma franchise et le courage d’en avoir parler en public. Je continuerai à le faire, car cela aussi est lié au fait de „ne plus se plier en quatre“. Pour moi c’est la seule façon d’être authentique. L’abstinence et l’hypersensibilité font désormais partie de ma personnalité. Il s’agit d’assumer qui je suis et ce que je fais ou, dans certains cas, ce que je ne fais plus. Quand je pense à tout ce que j’ai encore à faire dans ma vie professionnelle, mes études reprennent tout leur sens. Ma cousine dit:
La vie est comme une mosaïque. Petit à petit, elle s’assemble et à la fin, elle est complète.
Je sens que beaucoup de choses s’assemblent en ce moment. Pour être honnête, je dois aussi admettre que tout n’est pas devenu plus facile depuis que je suis sobre. Un ami philosophe affirme toujours que la vie est comme une courbe sinusoïdale : elle monte parfois et aussi descend parfois. Bien sûr, elle a souvent baissé au cours des huit dernières années. J’ai fait une fausse couche, j’ai changé de partenaire pour avoir des enfants. Et concilier vie professionnelle et vie familiale relève souvent de l’impossible pour moi. Mais ce qui est bien avec la sobriété, c’est que l’on est plus à même de voir quand quelque chose ne va pas et que l’on peut chercher de l’aide à temps.
J’aime ce voyage dans lequel je me trouve actuellement. Le simple fait que j’ai créé ce blog montre clairement que je sais ce que je défends. J’envisage donc l’avenir de manière positive.
Je suis impatient de voir ce qui va encore se passer l’année prochaine, lorsque j’aurai atteint les dix ans (espérés) d’abstinence. Je suis dans une anticipation absolument positive.
* Vlada Mättig et Laura Malina Seiler sont des podcasteurs allemands.